7 janvier 2015...

Nous sommes (tous) Charlie.
La Maison d’Arrêt d’Evreux me demande une création liée à la lutte nationale contre la radicalisation.
Lioubomir Simovitch écrit, en 1941 :
« … est-ce bien le moment pour faire du théâtre?
On ne peut pas comparer un acteur et un boulanger. Le boulanger, au moins, nous aide à nous nourrir et à survivre tandis que l’acteur...
- Peut-être que l’acteur nous montre pourquoi ça vaut la peine que l’homme se nourrisse et survive ».
Dans « Le théâtre ambulant Chopalovitch » il nous montre comment le théâtre doit lutter autant contre l’incompréhension et les préjugés que contre l’oppression.
En 2015, explorer par le théâtre comment partager des pistes de réflexion pour lutter contre la violence demeure mon arme dans mon combat pacifique.
En 2015, Il est important, urgent, de s’emparer du thème de la radicalisation pour réfléchir sur nos propensions à se laisser manipuler par besoin d’idéaux et d’unité.
Je réponds OUI à la demande de la Maison d’Arrêt d’Evreux.

13 novembre 2015…

Face au volcan, comment traiter le sujet?
Après des mois de recherche sur les thèmes de la radicalisation, de la manipulation, de l’estime de soi, l’écriture au bord du plateau avec les comédiens s’impose comme le moyen idéal de parvenir à gravir la montagne.
Les recherches prennent forment sur scène, parfois criantes d’inutilité, d’autres fois précieusement enregistrées. Nous malaxons, nous fouinons, nous effaçons, nous aimons.
Ensemble.
De répétitions en répétitions, des évidences s’installent : nous utiliserons 2 films qui nous tiennent à cœur
« La vague » et « Vice-Versa ». Grâce au 1er, nous montrerons la certitude du personnage principale Leïla de ne jamais pouvoir être manipulée et la preuve par sa sœur de son erreur de jugement.
Grâce au 2ème, nous utiliserons les émotions pour rythmer d’humour le spectacle, permettant d’alléger les scènes réalistes et douloureuses de manipulation.
Persuadée qu’une bonne estime de soi amène à un discernement susceptible d’éviter l’embrigadement, le challenge des émotions (la peur, la tristesse, la joie et la colère) de Leïla sera de trouver le moyen de cohabiter pacifiquement et efficacement dans le même cerveau.

Mise en scène

Formée chez John Strasberg, je travaille dans le souci permanent de la recherche du réel avec la volonté d’entrer sans fioriture dans la complexité des pensées et comportements des personnages.
Je demande aux comédiens de ne cesser de se poser la question
« si c’était vrai ? »,
et souhaite que leur manière d’être et de parler nous permette d’oublier les 4 murs les séparant du public dès la première minute du spectacle ; sans pour autant basculer dans un jeu « naturaliste » dont l’intérêt m’échapperait.
Pour autant, si je travaille dans cette recherche avec les comédiens, il n’en est pas de même pour la scénographie.
J’aime les plateaux « vides », pour mieux les offrir à la psychologie des personnages, à leurs ressentis, à leurs histoires. Ainsi un canapé (à volonté ouvert ou fermé) est l’élément unique du décor.

La vidéo est toujours présente sur le plateau.
Elle est présente pour illustrer l’emprise des vidéos des théories du complot qui circulent sur
internet. Elle l’est aussi pour grossir en un écran géant l’emprise des réseaux sociaux, notamment Facebook.
Mais j’utilise aussi la vidéo pour qu’elle suive mon personnage principal dans sa dérive ; l’intensité lumineuse des couleurs se réduisant au fur et à mesure que l’embrigadement se précise.

La projection des vidéos se fait sur 3 supports. Un fixe central, et 2 panneaux amovibles.
Ceux-ci permettent d’accentuer l’effet d’enfermement des images sur le personnage ; de réduire l’espace comme la capacité de penser, d’inventer de nouveaux lieux pour glisser dans les méandres fantasmagoriques des pensées de Leïla.

Il n’y a que 3 accessoires utilisés par les comédiens, à la symbolique certaine : un livre, un téléphone et un micro : le téléphone véhicule des images sans forcément mettre à contribution nos questionnements (quid de la véracité des images?), le livre amène à la réflexion (ici pour affiner les interrogations pouvant améliorer l’estime de soi), et le micro est le symbole d’une bonne communication et de partage.

Conclusion
Si les thèmes abordés sont parfois lourds et douloureux, le spectacle oscille de cette réalité à celle fantaisiste et drôle des émotions de Leïla, incarnées par les comédiens.
J’ose spoiler la fin pour écrire qu’il n’était pas envisageable pour moi d’arriver aux applaudissements sans signaux positifs.
Ce spectacle porte l’espoir que nous pouvons travailler tous à mieux se connaître, s’accepter et se respecter, afin de se tourner vers l’autre dans une plus grande objectivité.


Le 13 mai 2016
Myriam Zwingel